Souvent je pense à toi petit homme. Ton bref passage dans ma vie m’a changée à tout jamais.
C’était ma première journée de travail dans cette maison d’hébergement pour femmes et enfants victimes de violence conjugale. Je me demandais un peu ce que j’allais y faire et me cherchais des repères…
Puis à peine arrivée, ta maman est entrée dans mon minuscule bureau, avec un paquet dans ses bras, toi, deux autres plus grands qui s’amusaient en bas et un 4eme en route arrondissait son ventre.
Bien que n’ayant pas été engagée comme intervenante, j’ai su dès ce moment, que mon passage dans cette maison serait parsemé de ce type de visites, parfois des mamans, parfois des enfants, mais toujours ces regards d’émeraudes, blessés par le temps, à la recherche d’étoiles…
Je revois les yeux clairs de ta mère, dont le bleu semblait si pur car constamment baigné dans une eau sans fin, comme si une source de larmes intarissable y avait élue domicile. Elle me mis son petit paquet dans les bras, en l’occurence toi; et me raconta son histoire, TON histoire.
Je me souviens de m’être servie de ta chaleur, de cette force qui émanait de ton petit corps si jeune, afin de réussir à encaisser le flot d’horreur que j’ai entendu ce jour là et dont, malheureusement, tu étais l’un des personnages principaux.
Je ne t’ai jamais oublié, petit homme, ce jour là, je suis rentrée à la maison avec le poids du monde sur les épaules. Mais ce n’est pas à toi que je vais apprendre que c’est lourd, le poids du monde, car tu le sais déjà. Je suis donc rentrée en me demandant comment j’allais faire pour retourner le lendemain dans ce minuscule bureau, qui avait une petite fenêtre bardée de barreaux et qui, je le savais déjà, me changerait pour toujours… J’y ai passé cinq magnifiques années…
Ce soir là, je pris ma petite fille dans mes bras et je la serrais plus qu’à l’habitude. Et depuis, il ne s’est pas passé une seule journée sans que je lui dise que je l’aime. Car c’est à coups de je t’aime que les enfants devraient entrer dans la vie, pas à coup de blessures si profondes que parfois…
Mais au fil des semaines et des mois, petit homme, j’ai vu ta maman tranquillement se transformer et un matin, il y eut même un sourire…
Je pense souvent à toi, tu dois bien avoir 10 ou 11 ans maintenant et quand le poids du monde me courbe à nouveau l’échine, alors je repense à ce petit paquet, dans mes bras et je me dis que même de la plus triste des tempêtes peut jaillir une magnifique étoile…