Arnaud

Je m’appelle Arnaud, j’ai 44 ans.

Je suis lieutenant-colonel dans l’armée française et j’en suis très fier. Mes amis vous diraient sans doute que je suis une « machine » comme vous dites par chez vous. Dans le sens d’un gars solide, toujours premier à la course, grand sportif.

Dans quelques semaines je vais me marier avec ma très chère Marielle. En fait, nous avons déjà célébré notre union civile mais souhaitons cette fois-ci le faire devant Dieu, sous la bonne gouverne du Père Jean-Baptiste.

J’ai été major de ma promotion à l’école des officiers. En fait, si vous l’ignorez,  le major de promotion est celui qui arrive premier. Mais je ne le crie pas sous tous les toits, ce n’est qu’un rang. Ce qui importe c’est ce qu’on fait ensuite avec le grade qui nous est confié.

Mon parcours m’a amené à me battre en Irak. J’ai aussi durant quelques années été à la garde au Palais de l’Élysée et donc à protéger notre Président. Mais depuis 2017, j’ai rejoint la gendarmerie de l’Aude.

Hier soir ma vie a basculé. C’est ironique car en décembre dernier j’ai pris les commandes d’un exercice d’attentat en supermarché qui cette fois là s’était bien terminé. Bref, hier soir ma vie a basculé.

Au « Super U » de Trèbes, banlieue modeste de Carcassonne, la folie meurtrière est entrée et a pris la vie de quatre personnes. Je ne nommerai pas l’assaillant, il ne mérite aucunement qu’on se souvienne de son nom. J’aurais voulu les sauver tous mais je n’ai pas pu… J’ai quand même réussi à me substituer aux otages restants et en aucun cas je ne regrette mon geste.

Au fond de moi, j’ai su que je ne reverrai pas ma douce Marielle. J’ai compris que ma vie s’arrêterait ici, à la merci d’une folie meurtrière.

J’entends déjà les commentaires, les ovations. Le Président Macron dira surement : «le courage, le sang-froid et l’abnégation exceptionnels… Au cœur de l’action, le lieutenant-colonel Beltrame a illustré les vertus militaires d’une manière éclatante, qui mérite respect et admiration de la nation tout entière»,

j’entends mon frère Cédric, ah mon frère, tu vas me manquer. Je te confie notre mère et ma douce Marielle. Bref, j’e t’entends déjà crier haut et fort : « Je pense que ce qu’il a fait va au-delà de l’engagement de son métier. Il est parti en héros. Il a donné sa vie pour un inconnu, il savait qu’il n’avait pratiquement aucune chance. Il a quand même été très conscient de ce qu’il faisait, il a gardé ses réflexes, notamment en laissant allumé son téléphone. (…) Si on ne le qualifie pas de héros je sais pas ce qu’il faut faire pour être un héros. Il n’a pas hésité une seconde, il a fait ce qu’il fallait. Grâce à lui, on a sauvé de très nombreuses vies. »

Mais au bout de la vie, il n’y a qu’une maman pour si bien connaître son fils. Maman tu leur diras : « Il me dirait : ‘Je fais mon travail maman, c’est tout.’ Cela fait partie de sa façon d’être. » Et tu auras raison. Oui, maman, j’ai fait mon travail…

Je suis triste de partir aujourd’hui, mais surtout triste de l’absence de raison de ce départ. La folie terroriste ne repose sur rien. Amis n’ayez pas peur car c’est ce que le terrorisme souhaite laisser comme trace derrière lui; la peur. Je vous aime, j’aime ma France et nos enfants doivent continuer de courir dans les parcs sans avoir la peur au ventre. J’ai juste le goût de vous dire de vous aimer encore plus fort.

C’est l’amour au poing que je vous quitte aujourd’hui et je souhaite que le sourire continue d’être notre arme la plus massive.

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